Dossier Patiné
Entre perfection sans âme et bolides fossilisés
Dernièrement, quelques bolides rares et convoités sont sortis de l’ombre. Laissées trop longuement à leur profond sommeil par des propriétaires désintéressés, ces merveilleuses GT trouvaient acquéreur au prix fort. Mais une fois acquises, quelle vie leur rendre ?
Vous les avez probablement vues passer sur la toile, ces Bugatti du fond des mers, ces Aston Martin dégotées dans l’encoignure d’une grange, ou ces trois italiennes qui hibernaient profondément sous une couche de poussière.
Ces découvertes sont aussi nombreuses que le dilemme est intense : quelle suite convient-il de donner à leur histoire ?
Nous nous posons ici la question d’une éventuelle restauration. Nécessité, obligation, caprice ou tentative d’exploit ? Chaque cas implique une remise en question et nous ne résistons pas à vous donner notre point de vue.
Imaginez-vous pêcher une Bugatti, au fond d’une fosse maritime. Que faire de ce merveilleux vestige ? Une restauration totale vous en coûtera assurément plus cher que l’achat d’un exemplaire en état. A moins d’être tenté par les défis confinant à la folie, voir au ridicule, nous vous conseillons de lui offrir une place de choix au centre de votre salon, tel la sculpture d’un certain Ettore, rectifiée par un Poséidon tourmenté. Certes, votre chère et tendre moitié objectera que les résidus de rouille et les fragrances de mollusques s’intègrent mal dans son intérieur, mais qu’importe vous atteindrez là le faîte de l’exclusivité « automobile ».
Moins onirique, vous débusquez ou achetez une Aston Martin DB4 Convertible, l’un des 70 exemplaires. Plus rare qu’une DB4 GT Zagato, elle végétait au fond d’une grange et se présente devant vous, couverte de poussière et de vestiges d’intempéries. Il s’agit d’une deuxième main, son moteur a été changé fin 1970. Elle vous fait de l’œil mais sa carrosserie est bien entamée. Elle a un grand besoin d’attention mécanique mais, avec seulement 60.000 miles au compteur en 48 années, son habitacle attire et incite à être conservé.
Son premier propriétaire, un professeur d’agronomie de renom à l’université d’Oxford y a laissé quelques traces : un peu de monnaie, une paire de lunettes, une vieille interrogation et l’étiquette de parking jaunie apposée sur le pare-brise lui permettant de se garer dans l’allée du Président. Détail croustillant et « so british » qui ne mérite nullement de terminer à la benne.
Alors, cruel dilemme, que conserver ? Que remplacer ? Des sièges usés mais pas déchirés, un volant qui a beaucoup tourné et des chromes défraichis méritent-t-il de rejoindre la déchetterie, amputant du même coup un étonnant supplément d’âme ?
Enfin, le coup de maître, trois Italiennes, soigneusement parquées dans une grange au milieu de matériel agricole. Pour ne rien gâcher, ces deux Ferrari et cette Maserati on peu roulé. Pour un peu, vous pourriez quitter la grange par la route. Une petite révision et un grand coup d’éponge vous permettraient d’en profiter. Certes, elles seraient imparfaites, leurs habitacles fleurent bon l’innactivité mais rien n’oblige leur propriétaire à sombrer dans une dispendieuse restauration.
Le débat est loin d’être clos. Par quoi faut-il passer ? Restauration mécanique ? Minimum esthétique ? Ou chirurgie totale et reconstructrice ? Qu’y a-t-il de plus dommageable : patine et défauts évoquant l’histoire d’un véhicule, ou perfection esthétique et mécanique ?
Bien sûr, il y a des écueils à éviter. Les anciennes qui ont couru, telle une Porsche Speedster, une Fiat Mefistofeles, méritent de conserver les stigmates de leurs passes d’armes. Griffes et coups on été provoqués par un pilote, un conducteur illustre ou simplement fortuné, rattachant le véhicule à la légende d’une époque.
A l’opposé, il conviendra d’éviter les travaux soignés à l’extrême dépassant outrageusement les standards de l’époque et conférant au moindre détail une perfection qui apparaîtra factice.
Enfin, le processus de restauration présente une complexité. Il est fait de points de non-retour. Chaque étape franchie efface un chapitre de l’histoirede nos nouvelles maitresses, au risque d’aboutir à la construction d’un bolide neuf, de conception datée, qui n’a plus d’ancien qu’un numéro de châssis. Dans un extrême comme dans l’autre, vous ne le savez que trop, une GT est faite pour rouler, pour hurler, freiner, consommer, se pavaner mais en aucun cas pour végéter !
Julien Libioul
V12 GT
L'émotion Automobile
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