Qu’à cela ne tienne, il suffit d’écraser l’accélérateur. Dans un grondement viril et rageur, notre 350 GT décolle. Je passe le second rapport dès 5 500 tours, ce qui est bien suffisant pour un moteur de cet âge. D’ailleurs, la puissance décroit au-delà de 6 000, et le bruit magnifique est présent dès le régime de couple. Je me retrouve sur une belle nationale, j’enchaine jusqu’à 3 500 tours en cinquième. La mécanique semble avoir trouvé son rythme de croisière : les températures d’eau et d’huile sont à 90 et 100 respectivement, la pression d’huile est au milieu de la jauge, il reste encore un peu d’essence, la vitesse affichée est de … Nous ne somme malheureusement plus en 1965, époque bénie ou les limitations de vitesse n’existaient pas !
Chacun était libre de ses choix, et un 200 km/h sur nationale dégagée était possible, les Facel Vega, Jaguar ou Ferrari atteignaient fréquemment ces allures en toute impunité. Je dois donc ralentir le rythme, et adopter une vitesse réglementaire, certes, mais bien trop lente pour cette merveille mécanique.
A ce rythme, j’ai l’impression de voyager dans une GT au long cours : mon dos est agréablement soutenu par le siège, le grondement du V12 s’est estompé, l’habitacle est spacieux et clair, la ventilation fonctionne à peu près. De quoi voyager vite et loin, confortablement.
M’ennuyant un peu à ces vitesses légales, je décide de bifurquer et d’emprunter les petites routes de campagne aux alentours, bordées par d’innombrables champs de blé. La visibilité étant excellente je peux attaquer. Je descends deux rapports, le V12 se réveille en hurlant de plaisir, et je me jette dans le premier virage. Ah, j’avais oublié cette direction, qu’il faut malmener franchement pour faire pivoter l’avant, un petit geste du poignet étant très insuffisant.
L’arrière suit sans broncher, je ré-accélère prudemment tout en redressant. Je monte la troisième à fond, et me précipite sur le virage suivant, qui arrive bien trop vite, m’obligeant à écraser les freins. A l’italienne, ils sont peu efficaces rapportés aux standards actuels, mais certainement plus puissants que ce qu’offrait (si je puis dire) Ferrari à l’époque. L’auto ralenti tout de même énergiquement, il suffit d’appuyer fort, et en ligne droite, car l’auto est bien équilibrée.
Je rétrograde d’une main ferme, donne un coup de volant, et je remets les roues en ligne avant d’accélérer franchement. Un peu trop d’ailleurs, puisque l’arrière se déhanche nettement sur les bosses, au point que je sens l’amorce d’une belle glissade. Je contre braque légèrement, et tout rentre dans l’ordre, sans drame. Sa suspension arrière à roues indépendantes, une nouveauté à l’époque, offre une stabilité inhabituelle digne de véhicules plus récents, sans grever le confort de roulage, bien au contraire. Quelque chose se met à clignoter sur un cadran : c’est le témoin de réserve d’essence. Il est vrai qu’il y a beaucoup de chevaux à nourrir.
Cette auto me fait penser à une Daytona : puissante, rapide, confortable mais plus GT que berlinette, et d’une facilité de conduite rassurante, mis à part la lourdeur de sa direction. Bref, elle est accessible à tous, sans complications ou mode d’emploi particulier. Sauf que la Lamborghini a été conçue des années avant la Ferrari, elle était donc en avance sur son temps, d’ailleurs, il suffit de la comparer aux Aston Martin de l’époque, qu’elle surclasse nettement. La 350 GT est une Lamborghini polyvalente : confortable et spacieuse, même son coffre se révèle suffisant pour du grand tourisme, elle peut tout de même en remontrer à de soi-disant sportives, grâce à son V12 puissant et à son châssis rigide et équilibré.
Charles Paxson
V12 GT
L'émotion automobile
Photographe : Ghislain Balemboy