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V12-GT : Avant d’évoquer l’auto en elle-même, pouvez-vous nous expliquer ce que signifie son nom : Huayra ?

Horacio Pagani : Tout comme Zonda, Huayra est le nom d’un vent qui souffle dans les Andes près du lac Titicaca. La légende affirme que ce vent puissant donne de la force et de la vie à la terre. J’ai eu la chance de survoler cette région des Andes et ce paysage a été une vraie inspiration pour créer la voiture. Par exemple la couleur de présentation de l’auto reprend la couleur reflétée par les montagnes dans lesquelles souffle Huayra.

V12-GT : Quand est né le projet Huayra ?

Horacio Pagani : Nous avons commencé à travailler sur Huayra il y a sept ans. L’auto possédait alors le nom de code C9. L’idée était de créer une sportive totalement différente de ce que nous avions fait jusqu’alors. Nous sommes donc partis d’une feuille blanche. Les inspirations sont très différentes de celles de la Zonda. Quand j’ai dessiné Huayra j’avais en tête l’image d’un avion en plein décollage alors que pour la Zonda je me suis plus inspiré des bateaux Riva, du sport automobile et plus particulièrement des voitures des 24 heures du Mans.

V12-GT : Durant sept années vous avez donc travaillé simultanément sur Huayra et la Zonda. Quelles ont été les interactions entre les deux projets ?

Développer deux autos de cette catégorie simultanément était pour nous un challenge aussi intéressant que compliqué. Les deux projets ont évolué toutes ces années sur des routes parallèles. Bien sûr il est arrivé quelques fois que ces routes se croisent. Par exemple certaines évolutions techniques développées pour la Zonda R comme le carbo-titane ou les suspensions ont été réutilisés sur Huayra.  Mais globalement les deux autos ont eu une route très différente. De 2003 à aujourd’hui la Zonda n’a cessé d’évoluer de façon naturelle avec les versions F, Cinque, R, et Tricolore. C’est un parcours naturel qui n’a pas été influencé par le développement de Huayra. Et vice-versa. Huayra ne remplace pas la Zonda c’est une auto nouvelle qui dispose de sa propre philosophie.

V12-GT : Pouvez-vous nous expliquer le principe du système aérodynamique de Huayra ?

Horacio Pagani : Huayra est la première voiture de série au monde à utiliser l’aérodynamique active. Ce système est inspiré de l’aile d’un avion. Nous faisons en sorte que la vitesse de l’air qui passe au dessus de la voiture ne soit pas si différente de celle de l’air qui passe en dessous. Ceci nous permet de réduire le phénomène de portance. Pour un meilleur comportement et une meilleure stabilité, la hauteur des trains avant et arrière de l’auto varient automatiquement, un peu comme lorsque vous regardez le profil d’une aile d’avion. Et puis il y a ces flaps automatiques, un dans chaque coin de l’auto qui garantissent une stabilité exemplaire lors des freinages. Ils permettent également de réduire les forces longitudinales et transversales lorsque l’auto est en courbes par exemple. Concrètement cela améliore le comportement de l’auto qui est beaucoup plus stable et maniable.

V12-GT : D’où vous vient cette passion pour l’automobile ?

Horacio Pagani : Je considère que je suis une personne très chanceuse : depuis tout petit j’ai été attiré par l’art, le dessin, la science, l’ingénierie. Autant de domaines que j’ai retrouvé dans le monde automobile. Quand j’avais quinze ou seize ans je disais toujours à ma mère : « Un jour j’irais construire mes propres voitures à Modène ». Quarante ans sont passés et me voilà ! Cela n’a pas toujours été facile, le parcours a été, long ce fut beaucoup de travail, de sacrifices mais je suis heureux d’en être arrivé là.

V12-GT : Votre grand-père a quitté l’Italie au profit de l’Argentine, où vous avez passé toute votre enfance. Qu’est-ce qui vous a poussé à revenir en Italie et à vous implanter à Modène ?

Horacio Pagani : J’ai toujours pensé que Modène était un lieu fertile pour l’automobile sportive. Ferrari, Maserati, Lamborghini : les marques les plus prestigieuses du monde  sont là, réunies dans un rayon de trente kilomètres. L’air qui se respire dans cette région est bon pour les sportives, c’est pour ça que je voulais réaliser mon rêve ici. Pour grandir une plante doit être semée dans une terre féconde.

V12-GT : Avant de construire vos propres sportives, vous avez fait vos armes chez Lamborghini. Que retenez-vous de cette période ?

Horacio Pagani : J’ai commencé à travailler chez Lamborghini en 1983 en tant qu’opérateur de troisième niveau. Au bout de quelques temps j’ai été nommé responsable de la carrosserie. Après quelques années j’ai été promu au département design de la marque. Ce fut des années très riches et très créatives. J’arrivais à l’usine à sept heures du matin, travaillait jusqu’à huit heures le soir et repartait à la maison avec des devoirs ! C’était beaucoup d’investissement personnel mais je garde un excellent souvenir de cette période et je tiens à remercier une nouvelle fois Lamborghini de m’avoir permis de faire mes preuves et m’avoir confié le dessin de ses autos. J’ai par exemple participé à la création de la Countach 25^ème anniversaire, de la Diablo et même des premières esquisses de ce qui est devenu la Gallardo.

V12-GT : Vous avez également initié la recherche sur les matériaux composites, votre spécialité.

Horacio Pagani : C’est exact nous avons travaillé très tôt sur les matériaux composites et je suis heureux de voir qu’aujourd’hui Lamborghini explore pleinement cette voie, avec l’Aventador.

V12-GT : Votre vie a également été marquée par votre amitié avec votre compatriote Juan Manuel Fangio. Comment le pilote à qui vous avez dédié la Zonda F vous a-t-il aidé à concrétiser votre rêve ?

Horacio Pagani : J’ai rencontré pour la première fois Juan Manuel Fangio dans un centre Mercedes en Argentine. C’était un moment absolument extraordinaire. Nous nous sommes immédiatement bien entendu. C’était une personne très modeste et très intelligente, il ne prenait jamais personne de haut et était toujours à l’écoute des autres. Juan Manuel Fangio m’a beaucoup appris, que ce soit sur le plan humain ou professionnel. Grâce à lui j’ai également pu créer un rapport privilégié avec Mercedes qui est comme vous le savez notre motoriste officiel.

V12-GT : En 1999, après des années de développement, vous présentez enfin la toute première Zonda au Salon de l’automobile de Genève. Qu’avez-vous ressenti à ce moment là ?

Horacio Pagani : Le fait d’arriver à Genève avec une voiture aboutie, homologuée motorisée par Mercedes m’a procuré une certaine satisfaction mais également une certaine anxiété. Cette Zonda était le résultat d’années de labeur et l’aboutissement d’un rêve d’enfant. J’ai mis une grande part de moi dans cette voiture. A l’époque je disposais d’une équipe réduite et nous faisions tout nous même, à la main. La réaction du public et de la profession me rendait nerveux mais lorsque j’ai été complimenté par le Président de Mercedes, le designer en chef de Pininfarina, Gordon Murray et d’autres personnes qui sont pour moi des références dans le milieu je peux vous dire que j’étais vraiment heureux.

V12-GT : Après quelques années de commercialisation et un beau succès d’estime vous décidez de passer à la vitesse supérieure avec la Zonda S 7,3 litres puis la F. D’où est venu ce besoin ?

Horacio Pagani : Lorsque nous avons commencé à travaillé sur Huayra en 2003, le monde des supercars était en pleine ébullition : Ferrari Enzo, Maserati MC-12, Porsche Carrera GT, Mercedes McLaren SLR, Bugatti Veyron... toutes ces autos extraordinaires ont subitement fait vieillir la Zonda. Il fallait donc réagir. C’est ainsi qu’est née la Zonda F. Lors de la mise au point de la précédente génération nous nous étions aperçus que la mécanique et le châssis de l’auto pouvait aller encore plus loin. La Zonda avait encore un énorme potentiel d’évolution. Au fil des années nous n’avons cessé d’exploiter ce potentiel et il en résulte des Zonda toujours plus performantes comme la Cinque ou la R. Même si aujourd’hui la page Zonda se tourne, je pense que son dessin, sa motorisation et ses capacités sont encore valides. Nous pourrions produire cette auto pendant encore cinq ans !

V12-GT : Aujourd’hui Pagani est devenu une référence incontournable en matière de supercar. Comment voyez-vous cela ?

Horacio Pagani : Je vois ça comme une immense responsabilité car nos clients, nos partenaires et le public attendent de grandes choses de Pagani. A l’heure actuelle nous employons plus de cinquante personnes, et ce sans compter nos partenaires comme Pirelli, Bosch et bien sûr Mercedes AMG qui a mis à disposition pas moins de soixante personnes pour concevoir le V12 biturbo de Huayra. Il faut donc que nous soyons à la hauteur. Nous ne devons jamais cesser de nous surpasser et donner toujours le meilleur de nous-mêmes afin de continuer à faire vivre ce rêve. 

Laurent André

V12 GT

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